Précarité et mal-logement, cercle vicieux


Soixante ans après l’appel de l’hiver 1954, la Fondation Abbé-Pierre analyse, dans son rapport, comment la dégradation de l’emploi aggrave les difficultés de logement. Et inversement.
À Hayange, la fermeture de sites d’Arcelor Mittal commence à engendrer des difficultés de logement. «Et c’est maintenant que ça se passe», alerte Christophe Robert, directeur adjoint de la Fondation Abbé-Pierre.
La pénurie n’est pas la seule cause de la crise du logement, explique le dernier rapport de la fondation, rendu public ce vendredi, à la veille des soixante ans de l’appel de l’abbé Pierre.
La dégradation de la situation de l’emploi aggrave les fragilités dans le logement, même si les effets ne sont pas toujours immédiats. «Les personnes licenciées, explique le responsable d’un CCAS de Moselle, on les voit une, parfois deux années plus tard, quand elles n’ont pas trouvé de travail, qu’elles ont perdu leurs droits au chômage et qu’elles n’ont plus d’économies. Alors elles viennent chez nous avec des problèmes d’impayés de loyers ou d’électricité.» Une assistante sociale évoque le cas d’un ex-salarié d’Arcelor Mittal vivant à 15 minutes en bus de l’usine. Sans permis, il n’a pu retrouver un emploi comme ses ex-collègues au Luxembourg voisin. «Il a été expulsé de son logement privé, car, une fois ses allocations chômage épuisées, il n’arrivait plus à payer les 500 euros de loyer.»
Une spirale infernale
Aux pertes d’emploi s’ajoutent les effets dévastateurs de la précarisation du marché du travail (multiplication des CDD, temps partiels et autres statuts d’autoentrepreneur…). La flexibilité et la mobilité, devenues la norme, «sont en complet décalage avec la rigidité de l’offre et des statuts d’occupation, le renforcement des exigences des bailleurs et la progression du coût du logement», résume le rapport. Une anomalie qui condamne bien souvent les travailleurs précaires à s’entasser dans des logements tout aussi précaires… quand ils y ont accès. «Près de 45000 travailleurs saisonniers viennent travailler l’hiver en Savoie, explique Antoine Fatiga, responsable de cette question à la CGT. Certaines stations ont fait des efforts pour loger les salariés, mais c’est loin d’être le cas partout.» Camping-cars et parkings font souvent office de deux pièces. À La Clusaz, où deux jeunes ont brûlé dans leur camion l’an dernier, «le maire n’a rien trouvé de mieux que d’interdire leur présence sur la commune». Ne reste plus qu’à payer de très chers loyers… Et la colocation n’est pas la meilleure solution pour des saisonniers «de plus en plus âgés, du fait de la crise de l’emploi», relève le syndicaliste.
Impossible d’obtenir un logement digne sans un travail stable… Lequel est souvent inaccessible sans logement! Une spirale infernale bien mise en évidence par la Fondation Abbé-Pierre, qui appelle à une meilleure prise en compte des liens entre emploi et logement. Le Credoc estime à 2 millions le nombre de personnes ayant refusé un emploi ces cinq dernières années à cause du surcoût financier induit par une éventuelle mobilité (frais de déménagement, nouveau logement trop cher, risque de moins-value). Et la situation est encore pire dans les zones tendues. «La chambre de commerce et d’industrie de la Côte d’Azur a récemment montré que 80 % des entreprises font face à de sérieuses difficultés pour recruter dans le très cher département des Alpes-Maritimes», reprend Christophe Robert. De même, en Île-de-France, un individu résidant dans la deuxième couronne n’a accès qu’à 27% des emplois de la région.
refaire du logement « un bouclier de protection »
Un cas bien connu des associations d’insertion du Vexin, situé au nord du Val-d’Oise. «J’ai connu une famille qui avait acheté dans cette zone rurale, témoigne un travailleur social. Après avoir perdu son emploi, le père de famille n’a rien retrouvé sur place. Mais repartir pour ne pas retrouver un logement équivalent ou risquer de vendre à perte, c’est très difficile.» Les coûts de transport sont parfois si importants que certains salariés se mettent en arrêt maladie. Comme cet agent hospitalier, cité dans le rapport par un responsable de la CGT santé action sociale: «En l’interrogeant, on a compris qu’il faisait 150 kilomètres pour venir au travail et qu’il ne lui restait plus un sou après trois semaines.»
Afin de réduire la distance domicile-travail, la Fondation Abbé-Pierre plaide pour «une politique ambitieuse de construction sociale dans les zones à hauts revenus (...) pourvoyeuses d’emploi». Le rapport préconise aussi de mobiliser davantage entreprises et partenaires sociaux, «qui ont insuffisamment travaillé sur les transformations du salariat». Autant de pistes pour refaire du logement «un bouclier de protection» contre les dégradations économiques et sociales. «Si on a perdu la bataille de l’emploi, on ne veut pas perdre la bataille du logement, conclut Christophe Robert. D’autant que celle-ci peut être un moteur de relance de l’économie.»
* article de Pierre Duquesne publié dans l'Humanité du 31 janvier 2014 

44 % de SDF en plus depuis 2001.
41,6 milliards d’euros. C’est le total des loyers encaissés par les propriétaires du parc privé en 2011, une hausse de plus de 40 % en dix ans «qui n’est due que pour 8% à la progression du volume du parc locatif», explique le rapport de la Fondation Abbé-Pierre.
375,7 milliards sont mobilisés chaque année par le logement (en loyers, achats de biens et terrains, et aides de l’État), soit 19,7% du PIB. «Ces dépenses, dit le rapport, sont faiblement redistribuées dans l’économie et bénéficient peu à l’emploi.»
Au total, la France compte 3,5 millions de personnes mal logées et 10 millions de personnes victimes de la crise du logement.
141 500 personnes sont sans domicile en 2012, + 44% par rapport à 2001.
38 000 personnes vivent à l’année dans des chambres d’hôtel, 
85 000 résident dans des «habitations de fortune» 
411 000 personnes sont contraintes de vivre chez un tiers ou des proches.
1 million de logements en copropriété seraient en situation de fragilité (sur 6,6 millions).
70 000 ménages propriétaires et accédants étaient en 2006 en situation d’impayés de leurs charges ou de leur emprunt.

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