La commune de Gonfreville-L’Orcher, près du Havre, a répondu présent à
l’appel au soutien de salariés d’Isoplas abandonnés par les banques. Et a
contraint, par son volontarisme, les pouvoirs publics à intervenir pour sauver
l’entreprise. Récit.
Dire
qu’une délibération communale a suffi pour sauver une entreprise de belle
taille menacée de fermeture serait
réducteur et inexact. Mais sans la décision prise en conseil municipal de Gonfreville-L’Orcher (Seine-Maritime), à l’automne dernier, l’entreprise Isoplas aurait sans doute cessé d’exister.
réducteur et inexact. Mais sans la décision prise en conseil municipal de Gonfreville-L’Orcher (Seine-Maritime), à l’automne dernier, l’entreprise Isoplas aurait sans doute cessé d’exister.
L’histoire
commence fin octobre, quand les 174 salariés de la société Isoplas Pro basée à
Harfleur, près du Havre, qui fabrique de la menuiserie en PVC et en aluminium,
apprennent sa mise en redressement judiciaire. La conséquence de la mise en
liquidation de leur société mère, le vendeur de fenêtres Huis Clos, qui était
aussi leur principal client. «C’était 50% de notre activité», selon Jonathan
Delaunay, délégué syndical CGT et secrétaire du comité d’entreprise d’Isoplas
Pro. À l’époque, les salariés contactent les maires d’Harfleur et de sa
voisine, Gonfreville-L’Orcher, pour les alerter sur leur situation.
Le carnet de commandes de l’entreprise est garni
«Cette
entreprise a tous les atouts pour poursuivre son activité. Isoplas est viable,
le carnet de commandes est garni. L’entreprise est compétitive», écrivent à
Arnaud Montebourg, les élus communistes Jean-Paul Lecoq, maire de Gonfreville-L’Orcher,
et son homologue d’Harfleur, François Guégan, avec Nathalie Nail et Céline
Brulin, respectivement conseillère générale et conseillère régionale. Ils lui
demandent de «s’engager sur ce dossier», car Isoplas est dans l’attente d’un
repreneur et fait face à un manque ponctuel de liquidités, suite à la faillite
de sa société mère, pour pouvoir payer ses fournisseurs et servir ses clients.
«On
nous a dit qu’il existait des fonds de soutien mis en place par le ministère du
Redressement productif. Mais les choses ne sont pas si simples», explique alors
le délégué syndical CGT, inquiet, à Paris-Normandie, le 22octobre. «Le temps
joue contre nous. Plus les choses traînent, plus le risque est grand pour
l’entreprise.»
Une
première table ronde réunissant le sous-préfet, le commissaire régional du
ministère du Redressement productif et les deux maires communistes débouche sur
une impasse. Les représentants de l’État échouent à convaincre les banques de
délier leur bourse. Pour l’État, «c’était fini, l’activité devait s’arrêter»,
se rappelle Jean-Paul Lecoq. Le maire de Gonfreville ne l’entend pas de cette
oreille et réunit dans la foulée son conseil municipal. «Nous avions un fonds
de trésorerie d’environ 400 000euros. Nous avons décidé à l’unanimité de le mettre
provisoirement à disposition du commissaire au Redressement productif»,
explique rétrospectivement le maire, qui tient à préciser: «Nous ne faisions
courir aucun risque aux finances communales. Cet argent dormait à la
perception. Partant du principe que ce qui n’est pas interdit est autorisé, on
s’est dit: s’il peut être mis utilement au service de l’économie pendant
quelques semaines, pourquoi ne pas le faire? Exactement comme une banque,
puisque aucune ne jouait son rôle.»
Un repreneur trouvé
Mais
la décision communale est mal accueillie en sous-préfecture. «Ils étaient
embarrassés, aucun dispositif ne prévoyait ce type de situation», témoigne
Jean-Paul Lecoq. La solution avancée par la ville n’est pas valable, tranche
l’État, car l’entreprise ne se trouve pas sur son territoire, mais en lisière,
sur la commune d’Harfleur, qui ne dispose pas d’une trésorerie équivalente.
Mais elle oblige les acteurs concernés à «envisager les solutions de droit
commun qui n’avaient pas été activées jusqu’alors», constate Jean-Paul Lecoq.
Depuis, la communauté d’agglomération du Havre, compétente en matière
économique, accepte d’avancer 80 000 euros, tout comme le département, la
région Haute-Normandie mettant la main à la poche à hauteur de 200 000 euros.
Un repreneur a été trouvé en décembre, qui a permis de sauver 120 postes sur
174 Isoplas a passé l’hiver et est repartie «sur de bons rails», selon la
presse locale.
Mais
l’épisode a marqué la commune de Gonfreville. «C’est notre délibération la plus
populaire», relève Jean-Paul Lecoq, qui fait part des courriers d’approbation
des habitants. Même si la ville n’a, au final, jamais sorti un centime de sa
trésorerie. Mais, pour le maire, plus que la faisabilité technique, «ce qui a
compté, c’est la portée politique du geste. Les salariés l’ont compris, qui ont
continué de mener leur action, plutôt que de tout attendre de la délibération
de la ville. Nous pouvons les soutenir, non obtenir gain de cause à leur
place».
Reste
qu’avec sa décision, Gonfreville a mis en évidence plusieurs réalités. D’abord,
qu’il y a encore beaucoup à faire pour réformer les banques et les recentrer
sur leur cœur de métier: financer l’économie. Ensuite, que rien n’est prévu
pour venir en aide aux entreprises en difficulté passagère comme Isoplas, d’où
l’urgence de légiférer pour y remédier. Enfin, que l’action conjointe des
salariés et des élus peut, en conjuguant mobilisation des leviers
institutionnels et actions revendicatives, porter ses fruits. Une preuve aussi,
s’il en fallait, de l’importance de défendre un lieu de démocratie de proximité
comme la commune, aujourd’hui menacée par les projets gouvernementaux dits de
«décentralisation».
* article de Sébastien Crépel publié dans l'Humanité du 14 février 2014
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